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Carnets de voyage
16 septembre 2006

Mercredi 3 : Croisière sur le Niger

Mopti_pinasseAvant de monter dans notre pinasse, une très longue pirogue à moteur de 25 mètres environ, d’après Eric, en bois et recouverte d’un toit très solide en paille tressée, très efficace, comme nous allons le constater, contre la chaleur du soleil, nous sommes à nouveau sollicités pour les souvenirs. Nos vendeurs sont essentiellement des touaregs que l’on reconnaît aisément à leur chèche bleu drapé en amples plis autour de la tête et à leur fière allure. (Ils sont aussi très beaux) Nous rangerons ainsi dans nos sacs une lance finement ciselée et un petit coffret à bijoux en cuir noir de chameau que nous destinons à Rosy. Pendant ce temps notre équipage composé de trois personnes, le conducteur, un cuisinier et un guide s’affairent à embarquer les denrées qui nous seront indispensables pour notre croisière : poissons, poulets, eau minérale, légumes, tomates, pomme de terre et, bien sûr, les inévitables oignons. Bref, nous pouvons partir tranquille, le ravitaillement est assuré. Nous voilà bientôt prêts pour entamer la descente du fleuve. Nous allons, en effet, dans le sens du courant et, si nous n’avions pas des impératifs de temps, en nous laissant glisser ainsi au fil du courant, nous pourrions traverser après le Mali, le Niger, le Nigeria et atteindre, en bout de course, l’Océan.

Dès le départ, la magie de cet immense fleuve qu’est le Niger nous étreint. L’activité du fleuve, principale voie de communication de ce pays qu’il traverse d’Est en Ouest et, sans aucun doute, la plus aisée, sauf, peut-être, dans les derniers mois de la saison sèche où le niveau de l’eau descend terriblement mettant à jour les bancs de sables, est intense. On croise sans cesse des pinasses se rendant à Bamako, à Segou ou ailleurs dans un des petits villages disséminés le long du fleuve, lourdement chargées d’hommes, de femmes et d’enfants, de marchandises de toutes sortes, bois, poissons, d’animaux, moutons, ânes. Ici la surcharge n’est pas un critère important. Ce qui importe avant tout, c’est de pouvoir transporter le maximum de choses en un seul voyage. Celui-ci d’ailleurs, selon le mode de locomotion, peut être plus ou moins long. Si nous bénéficions d’un moteur, cela est toutefois un luxe assez rare. La plupart des pinasses sont en fait propulsées par la seule force musculaire. Nous verrons ainsi, tout au long de notre parcours, les pinassiers pousser inlassablement sur de longues perches pour faire avancer leur embarcation. L’avance est lente, fastidieuse, pleine d’embûches. Il faut faire glisser, et ce n’est pas une mince affaire en cette saison, les bateaux entre les bancs de sable et, plus pénible encore, arriver à les en sortir quand ils se sont malencontreusement ensablés. Quand cela arrive, il n’y a plus qu’à prendre la grande perche et à pousser encore plus fort. Le voyage peut durer ainsi de nombreuses journées. Parfois, la seule solution pour se dégager de ce piège de sable, est de s’associer. Devant nous, trois grande pinasses sont arrimées côte à côte et forment ainsi un magnifique trimaran, non sponsorisé. En passant devant nous, les bonjours et les signes de fraternité fusent de partout.

Niger_pinasseMais les plus belles et les plus majestueuses embarcations que l’on croise, sont celles, pas très grandes, poussées telles des jonques par une large voile déployée au vent. Quand on s’approche de plus prés, on s’aperçoit que ces voiles sont constituées d’un patchwork de toile de jute en plus ou moins bon état. La beauté de ces voiles devient magnifique quand fièrement gonflées par la brise du fleuve et passant devant le soleil, s’en dégage une luminosité à la fois douce et éclatante. Christine réussira justement là, à cet instant, un de ses plus beaux clichés.

Activité sur le fleuve mais aussi le long de ses berges. Une toute petite barque s’apprête à faire la traversée, car, bien sûr, pas de port et encore moins de pont. Pour rejoindre la rive opposée, peut-être un village où se tient un marché, il n’y a pas d’autre moyen que d’embarquer et de ramer. Plus loin, un groupe de femmes entourées de bambins qui s’ébattent dans l’eau, sont venues, munies de leurs boules de savon, faire leur lessive. Autour d’elles, à même le sol, sont déployés, en train de sécher au soleil, les boubous, autres vêtements déjà lavés. Quelques encablures plus loin, d’autres sont occupées au nettoyage des calebasses et ustensiles de cuisine. Ailleurs, elles procèdent de manière énergique à la toilette corporelle de leur progéniture. Spectacle tendre de voir les petites têtes noires des enfants entièrement recouvertes de savon, nus dans l’eau et frottés par leur mère. Les gestes sont identiques aux nôtres, seul le décor change.

Les pêcheurs sont, eux aussi, nombreux. Leur outil est le filet qu’ils lancent dans le vent d’un geste gracieux et souple. Le filet s’envole dans les airs, s’épanouit et retombe souplement dans l’eau. Gestes mille fois répétés au cours de la journée. Le poisson est abondant et les hommes ramènent dans les mailles de leur filet de belles prises frémissantes aux écailles miroitant dans le soleil. Nasses flottant au gré du courant, filets tendus en barrage au milieu du cours d’eau sont fréquents et le pinasssier doit être vigilant pour les éviter. Une fois cependant, il lui faudra stopper pour en démêler un pris dans les hélices du moteur. Demain, ce sera un troupeau de vaches en train, vaillamment, de traverser un gué à la nage qui nous obligera à nous arrêter. Il faut les voir s’élancer l’une après l’autre dans l’eau boueuse du fleuve dans un éclaboussement tumultueux et s’agiter pour rester à la surface des flots. Le spectacle est grandiose.


Niger_2
 

Nous arrivons en vue d’un village Karamango Bango où se trouve une très belle mosquée, en banco, aux belles ogives. Pour la première fois, il nous est possible d’y pénétrer après avoir, bien évidemment, ôté nos chaussures. L’intérieur, comme l’exige la loi coranique, est complètement nu, vide de toute décoration, les murs simplement blanchis. Pas de statues, pas d’enluminures. Seules deux niches, orientées toutes deux vers la Mecque, retiennent notre attention, c’est le mihrab où se tient l’imam qui est là d’ailleurs, devant nous vêtu d’une grande djellaba blanche, et le minbar, cavité d’où on lit les versets du Coran. Sur le sol, quelques tapis de prières. L’ensemble est à la fois austère et chaleureux, entièrement et uniquement dédié à la prière. Nous montons sur la terrasse de la mosquée d’où se déploie devant nos yeux un superbe panorama sur le village, le fleuve, le désert. Au sommet des veneaux qui entourent le sommet de la mosquée sont posés des œufs d’autruche d’une belle blancheur, symbole de pureté. L’animal était présent dans la région, il y a quelques années mais a, aujourd’hui, complètement disparu.

Le village est bien sûr plein d’enfants, tous plus beaux et souriants les uns que les autres. Une mention particulière pour les très jeunes filles d’une quinzaine d’années aux vêtements colorés et parées de petits bijoux, colliers, boucles d’oreilles, perles tressées dans leurs cheveux savamment coiffés. Gentillesse et accueil, pour l’instant, n’ont jamais failli que ce soit dans les villages ou dans les pinasses que nous avons croisées où on voit les petits enfants sortir de leur abri pour nous dire bonjour avec de grands signes de la main.

Nous continuons notre route et découvrons la faune riche et variée qui niche au bord du fleuve. Essentiellement des oiseaux : milans, aigrettes, hérons cendrés au long cou en forme de Z lorsqu’ils sont en vol, martins-pêcheurs au bec démesurément long par rapport à leur corps perchés sur les branches qui émergent çà et là de l’eau, cormorans volant au raz des flots attentifs au moindre frétillement pour plonger . On dirait que tout un monde d’oiseaux descend avec nous le fleuve et nous accompagne. Eric, féru en ornithologie, nous signale un héron pourpré, une aigrette à bec jaune, espèces semble-t-il assez rare à observer. Il frétille d’aise au plaisir de découvrir ces oiseaux et les jumelles circulent entre nous pour pouvoir les admirer. Un groupe de cormorans s’est réfugié sur une émergence de sable. Un gros busard cherchant pitance se fait chasser à grands coups d’ailes par une nuée de petits oiseaux noirs. Dans le ciel, la préservation du territoire est fondamentale aussi les poursuites sont vives. En définitive, le busard repartira bredouille. Nous nous précipitons à l’appel de notre pinassier. Un hippopotame est en vue. A vrai dire, il est relativement loin et tout ce que nous aurons la chance d’apercevoir sont deux oreilles et un museau dépassant du flot. Les troupeaux sont nombreux sur les berges, bœufs, moutons bicolores noirs et blancs ainsi que les villages de Bozos et peuls qui cohabitent ensemble. Chaque ethnie trouve dans le Niger ce qui lui est indispensable pour survivre. Ces villages sont très simples, très humbles. Quelques dizaines de huttes en bois plus ou moins rondes, recouvertes d’un toit de chaume qu’il est aisé de déplacer en fonction du niveau de l’eau. Certains, comme celui que nous trouverons au bord du lac Debo, but ultime de notre voyage sur le fleuve, sont très étendus et regroupent plusieurs centaines de personnes. Tout un monde de pêcheurs, de vachers et d’agriculteurs.

Niger_4Dans le ciel, le soleil est haut et, dans la pinasse, l’équipage s’affaire à la préparation du repas. Au menu un seul plat mais de qualité : capitaine, frites. Le poisson, acheté le matin sur le port de Mopti fraîchement pêché, est resté toute la matinée, découpé en gros morceaux, au soleil. Peut-être une méthode de faisandage... mais cela nous fait sourire. Il sera ensuite braisé au feu de bois, sur un petit barbecue allumé à l’arrière de la pinasse, le tout au son d’une mélodie africaine. L’organisation est parfaite et bientôt les assiettes garnies circulent de mains en mains. Si, certains comme Dominique, réexpédie le tout sans attendre dans le fleuve de peur d’être malade, la plupart mangent de bon appétit la chair succulente du capitaine et les frites qui l'accompagnent.

Notre projet est d’aller jusqu’au lac Debo et nous nous affairons tous autour des deux cartes une du Mali, l’autre de l’Afrique Occidentale pour nous situer et rafraîchir nos connaissances géographiques. Le fleuve prend sa source à la limite de la frontière de la Guinée à l’Ouest et nous suivons son long périple à travers le Mali passant par Tombouctou d’où il repart en formant une grande boucle vers le Sud de l’Afrique par le Niger avant d’atteindre le Nigeria et se jeter dans l’océan.

Au loin, en amont, un nuage de fumée qui ondule avec une grâce et une rapidité extraordinaire. Le nuage s’avance, fait soudain demi-tour, puis, tel un grand huit, monte et descend dans le ciel à une vertigineuse allure. Difficile de prendre une photo, mais reste le plaisir des yeux. On pourrait croire à une nuée de sauterelles, mais cela semble beaucoup plus pacifique. Une énorme nuée d’étourneaux maliens.

La bonne humeur règne sur les berges. Des femmes aux seins dénudés font leur toilette ou récurent les casseroles qui deviennent vite brillantes. Corps et boubous se lavent en même temps. Contre le soleil, dans l’eau, la fraîcheur est au rendez-vous et c’est un grand rempart contre la poussière, le sable et la saleté que l’on rencontre parfois dans les villages retirés.

La journée avance ainsi lentement, parsemée de mille choses, de mille scènes de la vie quotidienne sur le fleuve Niger. Nous nous laissons portés par le courant et la somnolence nous gagne. Derrière nous, l’équipage s’affaire, enfin, le mot est peut-être un peu fort, car, à part finir les tâches ménagères , en l’occurrence, la vaisselle, eux aussi, nonchalamment étendus, regardent tes eaux du fleuve s’écouler. Le conducteur surveille néanmoins d’un œil attentif le courant à l’affût d’un éventuel banc de sable. Heures enchantées où le temps qui passe prend toute sa mesure. Le soleil peu à peu descend à l’horizon. L’atmosphère devient plus fraîche et toujours notre pinasse avance. Nous commençons à bougonner alors que les quelques minutes prévues avant notre arrivée se transforment en quart d’heure, en demi-heure, en heure... Le temps, ici, a vraiment une autre dimension et n’a en fin de compte pas réellement de signification du moins pas celle que nous lui donnons, nous qui avons toujours un œil fixé sur les aiguilles de notre montre et pour qui chaque minute qui passe doit être utilisée. Assez déconcertant, mais nous devons nous y faire. De toute façon, nous ne sommes pas maître à bord. Il me revient en mémoire la réflexion que notre pinassier a faite à Paule qui sans cesse lui demandait dans combien de temps nous devions arriver. Imperturbable, il lui répondait invariablement : « Dans un quart d’heure » . Au bout d’un moment, Paule n’y tenant plus, lui dit, énervée : « Mais cela fait plus d’une heure que tu me dis dans un quart d’heure ». Lui, sans se démonter, lui répond narquois : « Mais toi, cela fait plus d’une heure que tu me poses toujours la même question. Je te réponds donc la même chose ». Une des rares fois où nous avons vu Paule rester sans voix. Nous ne nous arrêterons, en fin de compte, qu’à la nuit tombée pour accoster le long de la berge. Il est plus de 6 heures et le soleil a laissé place à une petite brise frisquette. Autant la chaleur est écrasante dans la journée, autant maintenant, nous sommes désagréablement surpris par nos premiers frissons et nous nous empressons de nous couvrir de pulls. Christine qui ne se sent bien que lorsqu'il fait chaud, râle avec raison. Deux jours plus tard, elle grelottera de fièvre. C’est donc dans l’obscurité totale, trouée seulement par la maigre lueur de nos lampes torches, que nous monterons notre campement. Il faut nous imaginer nous débattre dans la nuit avec les piquets et la toile de notre tente que nous montons, ce soir, pour la première fois. Mais nous y arrivons. Nous avons une pensée émue pour ceux de nos compagnons qui, faute d’avoir emporté une tente, vont dormir à la belle étoile. Au bord du fleuve, la température nocturne est franchement très fraîche... Pour la première fois de notre séjour, nous allons passer la nuit complètement isolés. Nul village en vue. L’expérience est assez forte mais pas désagréable du tout. On nous avait prévenus. Le confort hôtelier sera simple. En l’occurrence, on peut difficilement faire plus simple et plus rudimentaire. Nous nous engouffrons dans notre tente et en apprécions, dans toute sa valeur, son confort qui a le mérite de nous protéger du froid et de l’humidité extérieure. Très vite, le silence s’étend sur le camp.

Le lendemain matin, c’est un troupeau de vaches venues s’abreuver au fleuve, qui nous réveillera aux premières lueurs de l’aube.

Niger__troupeau

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